• Malgré des accords de lies et faceries ou passeries, fort (fors) lointains pour les premiers, la jouissance des pâturages de la montagne d'Ossoue situés sur le versant français des Pyrénées fut l'objet de conflits; qui firent des morts, entre les habitants de la vallée française de Barèges et ceux de la vallée espagnole de Broto.

    Au tout début du 14ème siècle, une bataille entre Barégeois et Brotois eut lieu dans la vallée d'Aussoue (Ossoue), au-delà du bois de St Savin, dans un petit plateau situé sur la rive droite du Gave. Les morts furent enterrés sur place, aux Houssats de Menjine (fosses de Menjine). Les Brotois, vaincus, demandèrent la paix, qui leur fut accordée, on ne sait à quelles conditions.

    En 1330 une Sentence Arbitrale, rédigée en espagnol, fut prononcée entre la vallée de Broto et celle de Barèges, sur et à cause des appartenances et propriétés, usage et jouissance des herbages et ports, limites et montagnes des deux vallées... Ports adjugés à ceux de cette vallée de Broto: Les Ports pour dépaissance, depuis les Pierres de saint-Martin et du Port, et de là vers l'intérieur, eau versant vers Gavarnie, et du Port des Espécières à l'intérieur, et des Ports d'Aussoue, du Tapou, de Pla de l'Aube et de Coumunau, eau versant aussi vers Aussoue, et comme se dirige la crête du Port d'Aspé, droit eau versant au gave d'Aussoue, et droit comme se dirigent les crêtes et combes de la Coste de Coumassiouse, droit eau versant à Saint Savin, et de là aux escarpements du Pèdet Tézi, et des escarpements du Pèdet Tézi, par la base des escarpements, revient au bois de St Savin, et de là va droit à la lisière de la forêt de Hole, suivant la lisière de la forêt jusqu'aux rochers de l'Oule. Tout ceci fut adjugé par lesdits arbitres pour 101 ans au Val de Broto, et voulurent qu'ils fussent francs et libres, et que ceux de Barège ne les inquiétassent pas quand ceux de la dite vallée y feront paître leurs bestiaux, sous les peines contenues dans les compromis. Vient ensuite l'adjudication que l'on fit à ceux de Barèges, qui, bien qu'elle soit en caractères lisibles et non malaisés ne se spécifie pas ici. Laquellle sentence fut prononcée par les dits Arbitres, avec authenti(fi)cation des commissaires nommés, l'un par l'Espagne et l'autre par la France, avec commission chacun de son souverain. Et ceux-ci confirmèrent la dite sentence en tout et pour tout, et ordonnèrent là même que dorénavant elle fut observée et accomplie, sans s'écarter de sa teneur en aucune manière, sous les dites peines imposées. Et aussitôt la dite sentence exprimée, ils la firent publier dans chacune des dites vallées adjudicataires.
    Cette copie de la dite sentence est certifiée et signée par Garcia la Cadena, notaire Royal, habitant en la ville de Broto, mais l'original, qui est en une peau de parchemin, fut donné et fait à l'Hôpital du village de Gavarnie par témoignage de Ramond de Math, notaire de France, en l'an 1330 de la Nativité de N. S.)

    En 1356, la maison des Hospitaliers de Gavarnie possédait de nombreux troupeaux qui paissaient l'été sur les montagnes de Gavarnie avec les troupeaux des habitants de la vallée de Barèges et d'autres troupeaux venant d'Espagne. Ce grand nombre de brebis tondait l'herbe que les Barégeois auraient voulu pour leurs troupeaux, nombreux aussi, d'autant plus qu'un grand nombre de pâturages, et non des moindres, étaient affermés aux espagnols pour subvenir aux besoins de la vallée. Les représentants des syndics soutenaient que les Hospitaliers n'avaient aucun droit de mettre leur bétail sur les montagnes qui étaient la propriété exclusive des habitants de la vallée de Barèges depuis que Charles Comte de Bigorre (plus tard Charles IV le Bel) avait affiévé en 1319 toutes les montagnes aux habitants de la vallée, perpétuellement, moyennant une redevance annuelle de 100 sous tournois. Suite au procès qui eut lieu à Luz, opposant les religieux de Gavarnie aux syndics de la vallée, une action amiable intervint entre le Précepteur de Gavarnie et la vallée de Barèges et les Hospitaliers jouirent désormais des mêmes droits que les Barégeois.

    En 1390 Une Sentence Arbitrale entre les vallées de Barèges et de Broto prévoit que les procureurs des deux vallées se réuniront une fois par an en l'Hôpital de Gavarnie, le jour de Sainte-Marie-Madeleine, pour régler les conflits et perpétuer la paix. Ce même traité précise les possessions et jouissances des Ports et Montagnes:
    "Item. Reconexen losd. arbitres que tots temps que cartes ni testimonio no es en memoria de contradiction auguna, los ports que son de las Peyras de Sen Marti enbat agua bessant enta part de Gavarnia e dels ports de Especiella et de Ossoa de Aralba d'Allans (Asper) la costa d'Araquafort de quant enbat entio la font de Soberpeyra entio a Lonton de Salguer o entio a Campelh de Salguer entio a Lont Baradgin entio a las fitas qui son entre Comeli e Alans cum talha a la soqua de Alans entio al Port Bielh de Alans sien tots temps uns comunals entre los bals soberdits de Baredge, so es a saber del bic det Plaa d'Esterre e de Darrerayga, e del bal de Broto e dels habitants en aquera qui tots temps en memoria james fon e son encore de présent E que per la soberdita comunitat dels ports davant dits e per la usitiva frequentacion e aysura de pexer en quan cada una de las parts estaben et hitaben en un essor espedile que per la begade se agossen a crecher rumors entre lor et per do e tant per autres carnals, bitioos, e autres delinquients qui son estads entre las soberditas partides aquets son benguts en granes e immoderades guerres destructions e autres mals se son enseguito a cada una de las partidas. E cum a loffici de arbitrales se especie esser asgardade declarar e tirar guerra, destructioos e autres mals qui enter las parts comprometentz sien o esser pusquen per ostar aqueres per so los dits arbitres e amigables, composidors sentencien, pronuntian, declaren e deius la pena al diu compromis contenguda dicen, ordenan que los paxements, herbatges e espleyts dels dits ports comunals entre las parts sobreditas sien partils por 101 ans del present die en la condadors seguents continuals, complets è acabats en la forma e maneyra que deius es scriut e contengut.
    Item. Los dits arbitres e amigables composidors sententian, arbitran, declaran e degus la pena al dit compromis contenguda, dixen e ordenan que la paxensa e los herbatges, aygues, lenhas, jazillas, espleytas dels ports aixi cum talha lo port de Poey Morons agua bessant enta Salguer e de part la serra de Asper a la serra e Soques de Armanhau e daqui al Poey de Tezi e cum talha lo Sarrat e la Ceda del Poey del Tezin e daqui tio dens au Gabe que tot agua bessant enta part del port de Salguer e de Campelh E lo port de Alans e cum talha lo gave enta part del port de Alans entio al port Bielh de Alans e entio a las Fitas de Comeli que sier las paxenses; erbes, espleytas daquets durant lo dict temps de 101 ans de las gens qui ara son e per temps seran hitants en Baredge, so es assaber dels locs dels bics del Plaa de Darrelaygua e del loc desterra, losquals  en lo comunal antiquamens esser solen e que duran le temps de 101 ans en aquets ports per los hitants qui ara son e per temps en bal de Broto contrast, guerre demande ni litige degun nels y pusquen ni sie feyt ni mangud e asso degus la pena e locas el düt compromis contengud en pero que quant los düts 101 ans passats perfeytament que los gens que la hora seran de los dits bals de Baredge e de Broto que si bolen tier ni observar lo düt departiment o si no que puscan tornar uns e comunals segunt los termis dessus dits aixi cum entio ara son seguits..."


    Les accords d'une durée de 101 ans, prévus entre les vallées de Barèges et de Broto par la Sentence de 1390, expirèrent en 1491 et ne furent pas renouvelés. Cependant ils continuèrent d'être respectés pendant encore qualques années. Les différends recommencèrent vers 1560 et une nouvelle Sentence Arbitrale fut conclue à Luz le 11 juin 1563.
    Acceptée par ceux de la vallée de Broto, elle ne plut pas à ceux de la vallée de Barèges qui firent appel. Cette Sentence ne faisait que confirmer celle de 1390, contre laquelle ils protestaient. Ils s'adressèrent au Parlement de Toulouse et obtinrent, en 1572, un Arrêt qui les remit en possession de tout le versant septentrional à partir de la ligne de partage des eaux qui sépare les deux vallées.
    Mis au fait de ses disputes, le 11 mars 1574, le Roi d'Espagne, Philippe II, désigna un député pour, de concert avec un commissaire du Roi de France, terminer tous les différends nouvellement survenus entre les deux Vallées.
    Il fut procédé à la reconnaissance et à l'abornement des montagnes, sur la base de la sentence de 1330. Des témoins furent entendus à Broto et à Luz.
    Le 1 juillet 1575 une nouvelle Sentence Arbitrale fut prononcée, confirmant sur bien des points celle de 1330, surtout en se qui concerne les montagnes adjugées à chaque vallée. Elle règla comme suit la question de propriété:
    La vallée de Barèges cèda pour toujours, aux Brotois, la pleine propriété de l'eau versant en deça et depuis les Peyres de Sent-Marti Pierres de saint-Martin), à la réserve du terrain de Gavarnie, qui serait à jamais possédé en commun et en indivis par les deux vallées.
    En retour, la Vallée de Broto était tenue de payer à celle de Barèges pour tout droit de lésion et de nouveau partage, une somme de douze cents ducats ou livres jaqueses, en deux payements égaux, dont les époques ne furent pas stipulées, et en attendant le payement, d'en servir l'intérêt annuel fixé à 60 ducats et 12 réaux, faisant 72 livres jaqueses, payable à Gavarnie le jour de la fête de Sainte-Madeleine.
    Les deux parties acquiescèrent à ce traité, Ainsi la vallée de Broto revenait, pour les limites, à la Sentence de 1330, elle abandonnait définitivement Aspé, Saubè, Pouyade et Arrouye et Allanz. Les Brotois avaient de cette dernière montagne une connaissance plus approfondie que les Barégeois, car les bergers aragonais d'Aussoue continuèrent d'aller y chercher là l'almagre, ou ocre rouge dont ils marquaient leurs moutons, et dont ils n'ont voulu révéler le gite à aucun Barégeois.

    Régulièrement, l'Assemblée des délégués des Brotois et des Barégeois se réunira le 22 juillet, à Gavarnie, pour régler à l'amiable les points litigieux et prendre les décisions pour les cas qui n'avaient pas été réglés. Ainsi, le 22 juillet 1596, "il fut défendu aux Bézis des deux vallées d'introduire dans les pâturages communs, du bétail étranger; gros ou petit, à peine de 50 livres jaquéses de pignore."

    Le 1 novembre 1624 un traité fut signé à Tarbes .
    "Il y est dit que les parties conviennent que ni cet acte, ni les Traités particuliers qu'elles pourront faire à l'avenir, ne pourront nuire ni préjudicier aux droits que les deux Vallées prétendent avoir de part et d'autre, sur les biens contentieux, lesquels droits les parties se réservent en leur entier pour s'en servir à l'avenir.
    Elles avouent que les droits des deux couronnes étaient demeurés indécis dans les Sentences Arbitrales rendues jusqu'alors, sur quoi il fut résolu de supplier Leurs Majestés Très Chrétienne et Très Catholique d'envoyer des Commissaires sur les lieux contentieux, avec pouvoir de déterminer et traiter les différends et contestations qui pouvaient être pour raison de la Souveraineté, Bornes et Limites desdits lieux, ensemble décider tous autres différends mus ou à mouvoir entre lesdites Vallées, étant accordé que jusqu'alors celle de Broto aura la liberté de jouir des Montagnes contentieuses et d'y mener des troupeaux en toute sûreté."

    Le traité des Pyrénées, signé le 7 novembre 1659 sur l'île aux Faisans, au milieu de la Bidassoa entre Hendaye et Irun par les Premiers Ministres français et espagnol (le Cardinal Mazarin représentant Louis XIV pour la France et Don Luis de Haro représentant Philippe IV pour l'Espagne), accompagné d'un contrat de mariage de l'Infante Marie Thérèse (fille ainée de Philippe IV d'Espagne) avec son cousin germain Louis XIV le roi de France, tous deux âgés de 21 ans, stipule dans son Article 42 que "les monts Pirenées, qui avoient anciennement divisé les Gaules des Espagnes, seront aussy doresnavant la division des deux mesmes Royaumes". La ligne de partage des eaux était acceptée des deux parts contractantes, comme limite des deux Etats.
    Le traité ne supprime pas les droits de "lies et passeries" mais ne délimite pas la frontière, la vallée de Broto utilisera toujours les pâturages de la montagne d'Ossoue !

    En 1734, contrairement aux stipulations des concordes, des gens de la vallée de Barèges se mirent à bâtir des maisons et à enclore des prairies dans les terrains communs aux deux vallées.
    Le curé de Luz prétendit à la dîme des troupeaux espagnols de Broto qui venaient pacager sur le versant français...

    L'article 15 du traité de délimitation de la frontière signé le 14 avril 1862 à Bayonne a fait, que les sept quartiers de la montagne d'Ossoue (de Pouey Aspé, des Especières, de Pouey Arraby, de Sécrès, de Pla-Laccoum, de Pouey Mourou et de Lacoste) sont la propriété commune de la vallée française de Baréges et de la vallée espagnole de Broto, ils sont compris dans la circonscription cadastrale de la commune de Gavarnie et ont pour limites: "du côté du Sud, la frontière internationale depuis le sommet du Vignemale jusqu'à la Brèche de Roland; du côté de l'Ouest et du Nord, à partir du Vignemale, premièrement : la très haute crête rocheuse et abrupte qui partage les eaux allant au Sud dans le gave d'Ossoue, au Nord dans la vallée de Saint-Savin ou de Cauterets; secondement : la crête moins élevée qui se détache de la précédente au delà du pic de Pouey-Mourou et sépare la montagne d'Ossoue de la commune de Gèdre, jusqu'à l'origine du Barrancou ou ravin de Coumaciouse, lequel divise le quartier de ce nom, l'un des communaux particuliers de la vallée de Baréges, d'avec celui de Lacoste, l'un des sept de la montagne d'Ossoue, et, enfin, du côté de l'Est, une ligne sinueuse fermant le périmètre depuis le Barrancou de Coumaciouse jusqu'à la Brèche de Roland, et qui est déterminé, comme il est dit ci-après, par vingt-six croix à double branche, pareilles à celles des trois zones délimitées plus haut, mais chacune d'elles est accompagnée de son numéro placé en dessous."

    Chaque année, lors de la dernière semaine de juillet, une grande transhumance permet à près d'un millier de vaches de la vallée espagnole de Broto de franchir le col de la Bernatoire (2336 m), où est gravée la croix frontière numéro 317, pour venir pacager jusqu'au mois de septembre sur le versant français, délimité par les sept quartiers de la montagne d'Ossoue, qui offre de riches pâturages nommés "Ossonne Montagne" sur la carte de Cassini réalisée d'après des levés effectués entre 1756 et 1789.

    En 2014, j'ai effectué plusieurs randonnées dans la montagne d'Ossoue et ses sept quartiers, qui possèdent de magnifiques sites et qui délivrent de superbes panoramas. Très riche en flore, la faune y est également très présente. J'ai passé du temps, en m'amusant, à rechercher quelques traces d'abornements du temps passé...

    (Documentation, Archives départementales des Hautes-Pyrénées, Commission syndicale de la Vallée de Barèges)

    Voir galerie photos des limites du côté de l'Est

     

     


    2 commentaires


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique