• Les trois zones d'Estaés ou Estanés


    S'il y a un endroit des Pyrénées où la frontière franco-espagnole n'obéit à aucune logique c'est bien celle qui est comprise entre l'Escalé d’Aiguetorte ou Escalé d'Aïgue Torte ou encore port de Gabedaille ou puerto de Gabedaille ou paso de Escalé ou encore paso d'Escalé de Aguatuerta (actuel repère frontière numéro 280 "Croix à l'Escalé d'Aiguetorte, sur un grand rocher vertical, à gauche de la cascade.") et l'immense rocher vertical nommé El Calcinar, sur la rive gauche du corredor (couloir) tubo de la Zapatilla (actuel repère frontière numéro 297 "Au pied de ce rocher, et sur la ligne de partage des eaux, croix faisant face au Nord.").


    La ligne frontière ne suit pas de crête dominante ni de cours d'eau mais elle passe sur des flancs de montagne, quelques fois sur des mamelons et longe parfois la base de falaises.
    Pour corser le tout, il existe de part et d'autre de cette frontière, entre l'Escalé d'Aiguetorte et la Chourrout d'Aspé ou Pas d'Aspe ou encore Paso de Aspe (actuel repère frontière numéro 296 "Croix à la Chourrout d'Aspé, sur l'escarpement vertical de la rive droite du Gave.") un territoire nommé montagne d'Estaès ou d'Estaés ou de Estanés ou encore de Astanés ou d'Estaëns, situé sur le versant septentrional de la ligne d'écoulement des eaux, d'usage commun entre les communes française de Borce et espagnole de Ansó (comarca de la Jacetania).

    En 1234 Jaime 1 de Aragón (Jacques 1er d'Aragon) el Conquistador (né le2 février 1208 à Montpellier et décédé le 27 juillet 1276 à Alcira), fit une donation à Ansó de la montagne d'Estaès ainsi que de la montagne d'Aspé.

    Un arbitrage datant de 1445 donnera le droit aux troupeaux de Ansó de pacager en compascuité avec ceux de Borce dans deux zones situées sur le territoire français contiguës à Estaès ou Estaés ou encore Astanés ou Estanés

    Une facerie datant de 1504 entre Ansó et Borce n'accordera à Borce la jouissance de la montagne d'Estaès ou Estaés ou encore Astanés ou Estanés qu'une seule année sur six.
    La carte de Cassini réalisée au 18ème siècle, précise les "Lac et Mt d'Aistaince" comme étant "Partie Indivis".
    Lors de conflits qui se sont produits en 1859 au sujet de la zone des pâturages de Estanés, Les habitants de Borce accusaient ceux de Ansó d'utiliser des terrains qui ne correspondaient pas à ceux qui étaient définis dans les accords établis. Ceux de Ansó évoquaient les titres de propriété venant de la donation que leur fit en 1234 Jaime I de Aragón, mais ceux de Borce mettaient en doute l'existence de cette donation puisque ceux de Ansó ne possédaient aucun document pouvant le prouver et ils souhaitaient récupérer les territoires jusqu'à la ligne de partage des eaux, comme le prévoyait le traité des Pyrénées signé le 7 novembre 1659.

    Les conditions d'usage de la montagne d'Estaés ou de Astanés ou encore de Estanés seront définies par l'article 10 du traité de délimitation de la frontière entre l’Espagne et la France, depuis l’extrémité orientale de la Navarre jusqu’au val d’Andorre, signé à Bayonne le 14 avril 1862, qui précise:
    "La commune française de Borce aura, une année sur six, l’usage exclusif de la montagne d’Estaés, appartenant à Anso et située sur le versant septentrional des Pyrénées entre la crête et la limite internationale, depuis l’Escalé d’Aiguetorte jusqu’à la Chourrout d’où se dirige de l’Orient à l’Occident une chaîne rocheuse qui sépare l’Estaés de la montagne d’Aspé. La sixième année revenant à Borce correspond à 1863, 1869 et aux années qui se suivent périodiquement au même intervalle.
    Durant leurs cinq années de jouissance libre d’Estaés à chaque période sexennale, les habitants d’Anso pourront faire paître leurs troupeaux de jour et de nuit, en compascuité avec ceux de Borce dans deux zones du territoire français contigües à cette montagne, et les gardes ainsi que les pasteurs auront la faculté d’y couper le bois nécessaire à la construction de leurs cabanes et aux besoins de la vie. La première zone s’étend depuis l’Escalé d’Aiguetorte jusqu’au Mailh de Maspêtres, entre la frontière internationale et la lisière supérieure d’Espelunguère. Pour la jouissance de cette première zone les troupeaux d’Anso auront la faculté de se servir librement à leur entrée et à leur sortie du chemin qui y mène par l’Escalé d’Aiguetorte et le pas de las Planetas, sans pouvoir en prendre d’autre en dehors du territoire commun.
    La seconde zone occupe l’espace compris depuis le Fourat de las Tirérès jusqu’auprès de la Chourrout d’Aspé, entre les croix hautes ou repères de la limite internationale et les croix basses qui la circonscrivent du côté de l’Orient.
    Il existe une troisième zone sur le territoire espagnol entre la frontière et une ligne qui partant du col det Mail, se dirige vers le Clot de la Mine, de là au Coutchet det Garray, au dessus du Mailh de Maspêtres, puis au Fourat de las Tirérès d’où elle va, en s’écartant insensiblement de la limite internationale, au Cap de la Coume del Tach, et s’avance presque parallèlement à cette limite pour finir à la Chourrout. Il est convenu que le gros bétail de Borce qui se trouverait par accident dans cette zone pourra être repoussé sur le territoire français, mais qu’il ne sera passible ni de saisie ni d’amende, à moins qu’il y ait été conduit par ses pasteurs."

    Le Journal Officiel de l'Empire Français du 5 février 1869, publie une lettre adressée le 5 août 1868 par le Général Callier, commissaire français pour la délimitation des Pyrénées, au Ministre des Affaires étrangères où il résume les travaux réalisés par la commission avec les litiges qui ont été réglés. Pour le litige qui "concernait la montagne d'Estaès, située sur le versant nord des Pyrénées, à l'origine de la vallée d'Aspe, et dont la vallée espagnole d'Anso et le village français de Borce se disputaient depuis longtemps la possession et l'usage" il conclut: "ce n'est pas sans beaucoup de temps et de peine que l'accord a pu s'établir. On a eu soin de tout préciser minutieusement pour prévenir les erreurs et les abus et, par suite, la mésintelligence entre les usagers. Le résultat a répondu à l'attente; la paix et l'amitié que les intéressés respectifs se son jurées n'ont pas été troublées un seul instant."
    Pourtant, le 10 octobre 1892, un incident qualifié de grave est relaté dans le journal La Lanterne du Vendredi 21 Octobre 1892 -30 Vendémiaire An 101-, sous le titre "Frontière franco-espagnole Grave incident". L'auteur de l'article s'en prend même au ministre des affaires étrangères en le traitant d'incapable: "Un incident qu'il convient de signaler à la vigilance trop souvent en défaut du gouvernement vient de se produire près d'Urdos, à la frontière franco-espagnole. Il existe de ce côté, à la limite de notre territoire, une montagne appelée d'Estaës, indivise entre la commune espagnole d'Anso et la commune française de Borce. La commune d'Anso jouit des pâturages de cette montagne pendant cinq ans, et celle de Borce, pendant un an seulement, et; depuis une quinzaine d'années environ, ces pâturages sont affermés par la municipalité d'Anso aux pasteurs de Borce moyennant 800 fr. par an. Ces derniers avaient joui paisiblement jusqu'alors de l'objet loué, lorsque, le 10 octobre courant, les douaniers espagnols se précipitèrent sur les bergers français en les menaçant de leurs armes, s'emparèrent de 19 juments et de 124 brebis, et ce, au mépris des dispositions de l'article 26 du traité international de délimitation conclu le 18 juin 1862, entre la France et l'Espagne et de la convention additionnelle du 27 février 1863. De plus, les gardiens de ces troupeaux, un vieillard de 70 ans et un enfant de 10 ans ont été emmenés à Canfranc, puis à Jaca, et ils se trouveraient en dernier lieu à Huesca. Les propriétaires des animaux saisis se sont adressés, en vain, aux différentes autorités espagnoles, depuis le capitaine des douanes jusqu'au gouverneur civil de la province, sans pouvoir obtenir de personne les renseignements nécessaires pour rentrer en possession de leur bétail, non plus que la mise en liberté des gardiens. Maintenant que la chambre est réunie, il est à espérer que si, comme il y a trop lieu de le craindre, M. Ribot tout absorbé dans les intrigues de la politique de ralliement dont il est le coryphée, néglige de prendre les mesures que commande la violence faite à nos nationaux, il se trouvera quelque député de la région pour rappeler ce ministre à son devoir et le sommer de demander réparation à l'Espagne. Il est, d'ailleurs, à constater que depuis que cet incapable a fait intrusion dans l'administration des affaires étrangères, les gouvernements étrangers en prennent à leur aise à l'égard de la France, et qu'il ne se passe guère de jours sans que notre frontière soit violée."

    L'abornement des trois zones d'Estaés (Estanés) décrites à l'article 10 du Traité, précise: "Pour la démarcation des limites de ces zones, conformément à l'article 10 du traité, au lieu d'employer des bornes, on a gravé sur le rocher des croix à double branche, sans numéro, et qui consistent en deux lignes droites parallèles d'un décimètre de long, coupées perpendiculairement au milieu par une autre ligne droite d'une longueur double."
    On peut constater sur le terrain que certaines de ces croix à double branche ont été gravées près de croix simples, sans doute, provenant d'abornements antérieurs.

    Voir galerie photos Abornement montagne d'Estaés



  • Commentaires

    2
    C.Jeanjean
    Lundi 2 Octobre 2017 à 15:58

    Bonjour

    1- Sur un  guide Maes dans la rando du pic de Batoua N26 il y a une info sur la borne N328 placée au port de Caouarère.

    2-Votre site est très intéressant.

    Cordialement

    C. Jeanjean.

      • Samedi 7 Octobre 2017 à 15:41

        Bonjour et merci JeanJean,

        J'aime bien les ouvrages de Pierre Maes, qui sont très précis et pratiques à faire suivre en randonnée. Dans son ascension N° 34 au pic Schrader il signale également la croix frontière numéro 330 au Port d'Aygues-Tortes alors que la commission mixte d'abornement en a fait graver une autre plus à l'Est.

        Cordialement  

        Robert

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